Gérald Darmanin, actuel Ministre de l’Intérieur, se projette sur la scène politique avec une entrée en scène stratégique dans son fief de Tourcoing, dans le nord de la France. Alors qu’il lance son retour politique très attendu, les indices de ses intentions présidentielles pour 2027 se multiplient. Néanmoins, sa quête d’une trajectoire politique personnelle suscite des interrogations au sein du gouvernement et du camp présidentiel.
L’événement de ce dimanche marque un moment clé pour la trajectoire politique de Darmanin. Rassemblant ses partisans, le Ministre de l’Intérieur entreprend sa première grande manifestation politique de la saison, axée sur la thématique des questions liées aux classes populaires qu’il estime négligées par les partis. Le rassemblement suscite un grand intérêt, et pas uniquement en raison des “saucisses-frites-bières” au menu. Car, frustré de ne pas avoir été nommé à Matignon, Darmanin a lancé avec fracas la bataille pour succéder à Emmanuel Macron. S’il ne cache plus ses ambitions pour la présidentielle de 2027, l’ancien protégé de Nicolas Sarkozy est-il déjà en campagne ? 20 Minutes a mené l’enquête et cherche à décrypter les indices.
Un discours qui ne cesse d’évoquer l’avenir
On ne sait pas si Gérald Darmanin y pense en se rasant, mais l’élection présidentielle semble occuper une place prépondérante dans ses réflexions. Le premier flic de France ne cesse d’évoquer cette échéance majeure, prévue dans quatre ans, au cours de ses entretiens. Mi-août, il aborde déjà cet horizon électoral dans Le Figaro : “Ce qui m’intéresse désormais n’est plus d’analyser ce qui s’est produit en 2017 et 2022. Ce qui m’inquiète maintenant, c’est ce qui se passera en 2027”, déclare-t-il, avant d’ajouter une couche ce jeudi dans La Voix du Nord. “Le fait est que dans cinq ans, une victoire de Madame Le Pen est assez probable. Face à cela, nous devrons avoir un candidat”, assure-t-il, sans toutefois confirmer qu’il est le mieux placé.
“Progressivement, il pose les bases pour augmenter ses chances d’une future candidature. Cela rappelle des démarches similaires à celles de Nicolas Sarkozy, qui dès 2004 faisait entendre sa voix spécifique”, rappelle Olivier Rouquan, chercheur associé au Cersa (Centre d’études et de recherches en sciences administratives et politiques).
Un ton critique envers son propre camp
À l’instar d’Emmanuel Macron à l’époque, qui épinglait de temps à autre François Hollande et ses collègues du gouvernement socialiste, Gérald Darmanin semble progressivement se démarquer de la ligne politique macroniste. “J’ai été plutôt en minorité jusqu’à présent concernant l’importance de la question sociale, mais j’espère que la boussole populaire que je propose sera un jour pleinement entendue par la majorité”, lance-t-il à ses collègues dans Le Figaro. Mettant en avant son passé en tant qu’élu local dans le Nord et ses origines modestes, le Ministre critique les “technocrates” qui utilisent “des termes que les Français ne comprennent pas toujours” et la “gauche bobo-libérale” présente au sein du gouvernement.
“Gérald Darmanin est bien conscient des lacunes de la Macronie, en particulier en ce qui concerne l’ancrage auprès des classes moyennes et populaires, qui profite au Rassemblement national. À tort ou à raison, Emmanuel Macron est toujours perçu comme “le Président des riches”, malgré le ‘quoi qu’il en coûte’ ou les redistributions”, ajoute Olivier Rouquan. “Cependant, on peut se demander ce que Gérald Darmanin a fait en faveur des classes populaires lorsqu’il était Ministre du Budget”, nuance le politologue.
Des ambitions qui irritent ses collègues
“Nous sommes en 2023, nous préparons 2024 et 2027, c’est loin”, répond mollement Élisabeth Borne ce mercredi, bien qu’elle soit visée par son Ministre de l’Intérieur. La cheffe du gouvernement insiste toutefois sur l’importance de l'”unité de la majorité”. Les ambitions de l’ancien Maire de Tourcoing commencent à agacer au sein du camp présidentiel. “Les idées doivent primer sur les égos”, lance le Secrétaire Général du parti présidentiel Renaissance, Stéphane Séjourné, dans Le Parisien ce vendredi. Piqué au vif, Darmanin réplique sans détour dans le même journal. “Je n’ai hérité d’aucune ville, d’aucune circonscription, je ne suis pas élu sur une liste à la proportionnelle. Je suis, c’est vrai, différent : d’origine modeste et issu de l’immigration, cela dérange peut-être”.
“Darmanin va rapidement se heurter à la traditionnelle solidarité gouvernementale, car il demeure sous l’autorité d’Élisabeth Borne. Nous nous souvenons du duel très intense entre Sarkozy et Villepin pour l’élection présidentielle de 2007, qui a duré un certain temps. La Macronie sera soumise à de fortes tensions dans les mois à venir”, souligne Olivier Rouquan, alors que le projet de loi sur l’immigration, examiné à la rentrée, pourrait attiser les conflits.
Un rassemblement et une vision élargie
Pour sa rencontre à Tourcoing, la première de ce genre pour un Ministre d’Emmanuel Macron depuis 2017, Gérald Darmanin entend montrer qu’il peut rassembler bien au-delà de son cercle restreint. Son entourage annonce la présence d’une centaine de parlementaires, dont Laurent Marcangeli, le chef des députés Horizons, ainsi que quelques élus Les Républicains. Une poignée de ministres devrait également assister à l’événement. Le Ministre de l’Intérieur fait preuve de propos bienveillants envers le communiste Fabien Roussel ou l’insoumis François Ruffin.
“Il souhaite démontrer qu’il prend de la hauteur, qu’il ne se limite pas à l’image d’un successeur de Nicolas Sarkozy”, souligne Olivier Rouquan. “Cependant, il sera difficile de maintenir l’équilibre, car il devra réaffirmer sa position sur les questions de sécurité et ne pourra éviter les petites phrases”, ajoute-t-il. Sur Twitter, François Ruffin a ciblé le Ministre sur sa responsabilité dans la montée du Rassemblement national. “Dix ans de Macron-Darmanin-Philippe-Le Maire… Quand le problème se présente comme la solution”. Un avant-goût du futur affrontement présidentiel entre les deux hommes ?